Récit d'une bénévole lors de la maraude de Noël, le 25 décembre 2015, à Paris
" La maraude de Noël est toujours une tournée particulière.
Cette maraude, l’équipe l’a voulue : point d’orgue de nos « rendez-vous » hebdomadaires, bouquet final des 53 vendredi de 2015 passés ensemble, trait d’union avec une nouvelle année de solidarité et de complicité. Durant les fêtes, le Secours populaire offre aux bénéficiaires de la maraude un « sac cadeaux » contenant cette année : truffes au chocolat, saumon fumé, pain de mie et paire de gants, ainsi qu’un article (bonnet ou écharpe) tricoté à la main par les bénévoles de l'opération "Le tricot pour les sans-abri" (letricotpourlessansabris.com) . Les membres de l’équipe ont tenu également à apporter leur petite contribution : Carl nous a concocté une playlist aux sonorités du monde qui assurera une ambiance festive tout au long de notre tournée, Barbara a préparé un chapon sur lit de petits légumes mijotés, Fanny nous a apporté de savoureux cookies; de mon côté, j’ai préparé les traditionnelles bûches chocolat et café tiramisu. Nous avons également quelques jolis dessins d’enfants.
Et c’est par une nuit claire de pleine lune que nous entamons notre tournée de noël.
Bien enfoncé dans son duvet, perché sur le petit muret d’un immeuble, au fond d’une ruelle, Pascal nous accueille avec bises et grand sourire. On lui propose chapon et bûche, mais il a déjà mangé et préfère en emballer une part pour s’en faire le déjeuner du lendemain. Tout en déballant ses cadeaux, Pascal nous raconte qu’au cours de la nuit du réveillon, des habitants du quartier sont venus, à pas de loup, lui apporter des victuailles. Pascal a préféré ne pas bouger, faisant croire qu’il dormait, pour ne pas les effrayer. Avant de partir, il nous fait remarquer qu’il dort toujours durant l’hiver avec le caleçon long (cadeau de l’an passé), cadeau pas très festif en apparence, mais qui s’avère très utile, préservant du froid et de l’humidité.
En arrivant dans le petit passage, nous découvrons le petit groupe d’hommes et de femmes dormant sous l’arcade, prostrés dans leur duvet. L’ambiance est lourde... Ils sont tous plongés dans leurs souvenirs de Noël. Qu’ils soient bons ou mauvais, ces souvenirs pèsent sur le moral. Alors, l’équipe surenchérit de sourires, de bons mots, d’un peu de musique et peu à peu tout le monde s’anime. Jacques sort de son duvet, Maude esquisse un sourire, Martial rit un peu. Le chapon, même tiède, est savouré, petits gâteaux et bûches sont dévorés. Les bonnets et les écharpes offerts sont essayés, échangés, appréciés. On distribue les dessins qu’ils hésitent à garder car « dans la rue, ils vont vite s’abîmer ! ». On s’étonne de ne pas trouver Lydie dans sa tente ; Jacques nous rassure, elle est prise en charge et mise à l’abri pour cet hiver dans une paroisse voisine. Quand tout le monde est détendu, on fait quelques photos et l’on choisit ensemble celles que nous leur développerons comme souvenir. L’ambiance est légère et festive et c’est déjà le moment de partir. Ils nous retiennent encore un peu avec un dernier café, une dernière blague, une bise.
Didier n’est pas là. Son emplacement à la sortie du parking est vide. Son état physique s’était dégradé ces dernières semaines. Il ne bougeait même plus quand un rat venait lui courir sur le dos. La semaine passée, il avait évoqué la possibilité d’une prise en charge par l’intermédiaire du 115 : espérons que ce soit la raison de son absence. Affaire à suivre…
À notre dernier arrêt, nous retrouvons entre autres : Claude, Thierry et Chinguiz. En voyant arriver le véhicule décoré de guirlandes et de boules de noël, les éclats de rire fusent ! De petites taquineries sur nos décorations rudimentaires mais qui sont toutefois appréciées par l’attention donnée. D’autres sans-abris s’approchent et nous rejoignent à l’arrière du véhicule pour la distribution. On sert les cafés, thé, soupes, on distribue les cadeaux mais aussi les articles courants proposés en maraude tout au long de l’année : boîtes de thon, de pâté, biscuits, plaques de chocolat, savon, dentrifrice, etc... Malgré une petite saute d’humeur pour un mot mal compris, vite désamorcé grâce à la cohésion de l’équipe, l’ambiance demeure joyeuse et bon enfant. Je joue la photographe amateur avec quelques photos ratées et tout le monde se prend au jeu et veut poser devant l’objectif. Claude et Thierry demandent à prendre des photos, eux aussi. Ils prennent l’appareil avec beaucoup de précautions et font quelques clichés de l’équipe. Puis, Claude se saisit d’une guirlande et s’entoure la tête pour jouer le sapin de Noël vivant. Thierry reprend une deuxième part de bûche en soulignant « juste comme ça … que la semaine prochaine, c’est son anniversaire… et qu’une bonne bûche au café serait aussi bien appréciée pour l’occasion… ».
Comme chaque vendredi, l’équipe de maraude de la Croix Rouge s’arrête un instant près de la nôtre. Christina et son équipe descendent nous saluer, on échange quelques mots, des infos, des signalements. Ce soir, Christina nous offre un thermos neuf venant d’un lot offert par un généreux commerçant à la Croix Rouge. Ils n’auront pas besoin d’autant de thermos, ils savent qu’on pourrait en avoir besoin, ils nous en offrent donc un.
Les derniers biscuits sont mangés, il ne reste plus de chapon ni de bûche, il est minuit passé, il est temps de partir. Une dernière bise, une dernière taquinerie et Claude, Thierry, Chinguiz repartent chacun de leur côté, écharpe autour du cou, cadeaux sous le bras, sourire aux lèvres.
Nous repartons sans avoir vu la « petite grand-mère » qui dort dans le parking. Elle se sera sûrement trouvée une place dans un foyer pour la nuit (ou pour plusieurs). Nous lui gardons une écharpe tricotée et des truffes, ça lui fera plaisir la prochaine fois que nous la verrons, en 2016."
Clarisse, bénévole maraude tout au long de l'année