Proposition commune des quatre associations bénéficiaires du PEAD en France.
Les stocks de denrées agro-alimentaires ont été crées comme un outil de régulation du prix agricole de la Politique agricole commune européenne. En 1986, la politique d’autosuffisance agricole a rempli une partie de sa mission et dégage des stocks de denrées en grande quantité qui induisent des coûts de stockage importants.
Stocker devient alors plus onéreux que donner ! A l’époque et sous l’effet de la crise, toute une population, en France et dans d’autres pays de la Communauté, ne mange pas à sa faim et n'a pas les moyens d'acheter sur les marchés.
En 1986, face au développement considérable de la misère en France et en Europe et l’impossibilité pour des millions de personnes de se procurer des produits alimentaires de première nécessité, le mouvement associatif français, européen et Coluche prennent conscience de la possibilité d’utiliser comme moyen solidaire les surplus agricoles provenant des stocks européens et plaident alors pour la mise à disposition de ces stocks pour l’aide aux plus démunis.
En 1987, sur cette idée et sous l’impulsion de Jacques Delors, alors Président de la Commission Européenne depuis 1985, et Henri Nallet, ministre de l’Agriculture de l’époque, la Commission Européenne ouvre une partie de ses frigos et crée le Programme Européen d’Aide aux plus Démunis (PEAD).
Le PEAD : un programme essentiel à l’action des associations européennes
Le PEAD est réparti, en France, principalement entre quatre grandes associations en charge de l’aide alimentaire : la Croix Rouge Française, la Fédération des Banques Alimentaires, les Restos du Coeur et le Secours populaire français.
Pour chaque association, le PEAD représente un apport important. Il équivaut à 23 à 55% du budget alimentaire de l’année écoulée.
Dans le reste de l'Europe, une grande majorité des états membres de l’Union bénéficie aussi de cette aide (19 sur les 27 états membres l'an dernier, avec une enveloppe globale d'environ 500 millions pour l'ensemble). Les états qui n’en bénéficient pas, le font volontairement (Allemagne, Autriche, Chypre, Danemark, Pays-Bas, République Tchèque, Royaume-Uni, Suède, Slovaquie).
Le PEAD, en tant que composante essentielle de l’aide alimentaire est aussi, bien souvent, un des premiers supports pour promouvoir l’insertion des publics en situation de précarité.
Son effet levier sur la distribution alimentaire peut se mesurer tant en termes financiers qu’en termes organisationnels. Son impact sur la santé et la protection des bénéficiaires est lui aussi largement positif. Grâce aux publics qu’il touche, le PEAD contribue indirectement à rapprocher les plus désocialisés de l’emploi.
Le PEAD en chiffres
Le PEAD représente :
23% à 55% des denrées distribuées par les associations françaises *.
1% de la PAC est consacré aux PEAD.
80 millions d’Européens vivent sous le seuil de pauvreté.
13 millions d’Européens bénéficient du PEAD.
Attribution de la Commission pour 2012 :
> Europe : 113 M€ / contre 500 M€ en 2011.
> France * (4 associations françaises) : 15,9 M€ au lieu de 78 M€.
* L’enveloppe PEAD France est partagée entre quatre grandes associations françaises : la Croix-Rouge, le Secours Populaire Français, les Banques alimentaires et les Restos du Cœur.
Un programme contrôlé et bien géré
Le fait que les associations soient opérateurs du PEAD les incite à être toujours plus professionnelles et les oblige chaque année à améliorer leurs méthodes et leurs résultats. Les associations françaises dépositaires du PEAD et leurs bénévoles oeuvrent chaque jour pour que chaque euro dépensé, qu’il provienne de l’Europe ou de donateurs privés soit investi directement dans l’aide aux plus démunis.
Cette gestion rigoureuse du PEAD a été saluée à plusieurs reprises comme dans le rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) de juillet 2008, mais également par la Cour des Comptes Européenne en 2009.
A - 2012 - Une condamnation du PEAD inacceptable mais pas inéluctable
Depuis quelques années, la diminution très forte des stocks européens a conduit la Commission à mettre en oeuvre, outre la distribution des stocks, des achats sur le marché pour pouvoir alimenter le PEAD à un niveau de 500 millions d’euros par an depuis 2009. Elle entendait ainsi répondre aux besoins des Etats membres pour assurer leur distribution alimentaire. Ces achats, subsidiaires au départ (1995), sont devenus majoritaires par rapport à l’utilisation des denrées stockées, en 2008 et 2009.
La récente décision de la Cour Européenne de Justice contraint la Commission Européenne à appliquer le programme européen selon le règlement actuel sur la base des seuls stocks
Cette situation rend urgente et incontournable une réforme de ce programme.
Sans le PEAD, l’Europe devra faire face à une crise humanitaire dès 2012.
130 millions repas ne seront plus distribués par les associations françaises.
Pour sauver le PEAD dans l’urgence, les associations soutiennent la proposition de la Commission Européenne.
La Commission a proposé par deux fois d’améliorer l’actuel PEAD :
En septembre 2008, la crise agricole et la mondialisation du marché des matières premières ayant privé l’Union Européenne de ses stocks.
En septembre 2010, et après avis du Parlement Européen, la Commission a proposé à nouveau une réforme du règlement toujours basé sur l’écoulement des stocks européens de matières premières mais avec recours systématique et non plus exceptionnel aux achats de denrées sur le marché, dès lors que les stocks sont insuffisants !
Ainsi, la Commission peut, sur la base d’un budget défini par les instances législatives européennes (Conseil et Parlement Européen), attribuer aux associations européennes des stocks mais aussi compléter par des achats sur le marché.
Dans ce règlement, la Commission Européenne a enrichi sa proposition d’évolution du PEAD reprenant notamment les points d’amélioration suivants :
- Un PEAD triennal avec des budgets prévisionnels sur les années 2 et 3.
- La suppression du pré fléchage des produits.
- La prise en compte de la valeur nutritive.
- La préférence communautaire à l’achat des produits.
- Un budget plafonné à 500 millions d’euros par an.
- La mise en place d’un cofinancement supplémentaire des états nationaux (+ 10 % à + 25 % selon les Etats).
- La prise en compte des frais de stockage et le déplafonnement des frais administratifs et des frais de transports (actuellement 1 % et 4,5 %).
Mais ce nouveau règlement n’a pu pour l’instant être adopté par le Conseil des Ministres de l’Agriculture en raison d’une minorité de blocage constituée par l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède, l’Autriche et la République Tchèque.
Les associations françaises soutiennent cette proposition qui permettrait rapidement d’offrir un cadre juridique stable à l’aide alimentaire européenne aux plus démunis.
B - Réduire la fracture alimentaire à long terme
Si elles soutiennent la proposition de réforme de la Commission, les associations affirment que le programme européen modernisé doit être adapté aux besoins fondamentaux des populations.
1. Les associations souhaitent défendre l’accès à l’alimentation par une politique au coeur des principes fondateurs européens
Inspirée par la volonté des citoyens et des Etats d’Europe de bâtir leur avenir commun, l’Union Européenne fonde son action sur des valeurs universelles inscrites dans les Traités constitutifs que sont notamment la dignité humaine, l’égalité et le droit des minorités.
Les associations réunies pour défendre l’aide alimentaire européenne sont convaincues que permettre l’accès à l’alimentation des Européens les plus démunis fait partie intégrante des objectifs de l’Union comme une contribution au combat contre l’exclusion sociale et les discriminations, ou encore la promotion de la protection sociale.
Le Programme européen d’aide aux plus démunis (PEAD) mêlant efficacité économique et promotion de l’agriculture relève du challenge que l’Europe doit mener contre une certaine forme d’exclusion.
2. Une politique d’accès à l’alimentation des plus démunis au cœur du défi agricole
Préserver la liberté de chaque individu en assurant les besoins vitaux des populations revient à bâtir une politique agricole européenne capable d’assurer la sécurité alimentaire de tous les citoyens quels qu’ils soient.
Il y a 50 ans déjà, les pères fondateurs de l’Europe décidaient de mutualiser leurs moyens pour relever le défi de l’indépendance alimentaire donnant ainsi naissance à la Politique Agricole Commune (PAC).
Aujourd’hui plus que jamais, face aux enjeux alimentaires mondiaux, l’Europe se doit d’avoir une politique agricole ambitieuse conservant des outils de régulation des marchés pour éviter les aléas climatiques et qui n’oublie pas ceux qui souffrent de "malnutrition" en Europe !
Les traités constitutifs comme la PAC convergent vers les mêmes objectifs : protéger les consommateurs, la santé publique et la cohésion économique et sociale.
Les associations militent pour que des règlements soient établis afin d’appliquer ces objectifs dans le quotidien de plus de 80 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté.
3. Assurer des prix raisonnables aux consommateurs : la PAC
50 ans après les rationnements d’après guerre la sécurité alimentaire est à nouveau un défi majeur dépassant l’aspect sanitaire déjà défendu par les règlements européens. Si nourrir les populations c’est produire, se nourrir c’est acheter. L’accès à l’alimentation reste donc un enjeu pour les populations les plus défavorisées.
Le budget consacré par les ménages à l’alimentation est parfois, et ce même pour ceux qui peuvent se nourrir, une source de déséquilibre profond. Ce déséquilibre en majorité alimentaire peut aussi constituer un handicap sur les autres postes de dépenses des ménages.
L’article 39 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFU) fixe comme objectif spécifique à la PAC d’assurer des prix raisonnables aux consommateurs.
Une agriculture puissante à l’échelon européen permettra d’améliorer par mutualisation, l’accès à l’alimentation de tous. La subsidiarité européenne agricole doit ainsi organiser par la PAC l’accessibilité de tous aux produits du marché. L’Europe a toute la légitimité pour assurer cette politique structurante comme fondement de l’accès à l’alimentation de sa population, réaffirmant notamment le lien entre production et consommation.
L’Europe doit, par le biais de sa compétence agricole partagée, assurer le maintien d’une diversité de produits agricoles sur tous les territoires, affirmant la diversité européenne comme génératrice de valeur ajoutée.
Mais l’Europe doit avant tout assurer un approvisionnement suffisant en volume, en qualité et à des prix abordables à ses consommateurs.
Cette politique agricole et alimentaire doit être efficace économiquement pour ses agriculteurs et pour ses populations, permettant par le marché ou par des mécanismes de compensation, l’accès de ses populations aux denrées alimentaires.
Au-delà de la sécurité alimentaire construite autour de la Politique Agricole Commune et à l’aune des nouvelles stratégies européennes pour la période 2014-2020, les associations françaises souhaitent que tous les moyens soient mis en oeuvre à court terme pour pérenniser le PEAD.
Néanmoins, et indépendamment de l’outil européen construit pour organiser la distribution de ce programme en faveur des plus démunis, les associations demandent que les propositions soient élaborées en concertation par les institutions européennes et répondent aux objectifs fixés à savoir venir en aide aux plus démunis.
4. La solidarité alimentaire à l’aune 2020
L’Union Européenne a placé la lutte contre la pauvreté au coeur de la stratégie Europe 2020. Les Chefs d’Etat se sont accordés sur un objectif commun, marquant un tournant décisif dans les objectifs européens : l’Union Européenne devra faire sortir au moins 20 millions de personnes de la pauvreté et de l’exclusion sociale au cours des dix prochaines années. Aider 16,6% de la population active en situation de grande vulnérabilité nécessite la mise en place d’outils efficaces consolidés par des moyens budgétaires à la hauteur des besoins, mais aussi par des objectifs nationaux qui devront être élaborés en complémentarité.
Le combat contre l’exclusion sociale, pour la justice sociale et la défense des droits fondamentaux fait, comme rappelé précédemment, et depuis longtemps, partie des objectifs essentiels de l’Union européenne, fondée sur les valeurs de dignité humaine et de solidarité.
La Commission propose pour atteindre cet objectif une plateforme contre la pauvreté. Les associations demandent un dispositif social européen à la hauteur des enjeux de la pauvreté européenne. Ce dispositif devra permettre de répondre à l’échelle européenne aux situations de dénuement matériel extrême, avec par exemple l’institution d’un socle alimentaire de base à toute insertion sociale.
Un tel axe fort de lutte contre la pauvreté dégagé pour la période 2014-2020 devra aboutir, tant opérationnellement que budgétairement, à la mise en oeuvre d’une solidarité alimentaire en complémentarité de la politique agricole.
Les associations européennes, qui jouent un rôle essentiel et quotidien dans la lutte contre l’exclusion, entendent rester au coeur du dispositif de partenariat européen : les premiers piliers de la mise en oeuvre de la solidarité alimentaire comme « incubateur » de la cohésion sociale.
C - Répondre aux besoins alimentaires des plus démunis
Sur ces bases, et indépendamment des moyens mis en oeuvre pour sa mise en place opérationnelle, le PEAD doit répondre aux enjeux de sécurité alimentaire des plus démunis européens. Les associations signataires de la plateforme proposent que sa transformation conduise à la création d’une dotation alimentaire structurante de l’accès des plus démunis à une alimentation équilibrée.
La politique alimentaire européenne commune doit faciliter à tous l’accès à une alimentation suffisante, diverse et de qualité.
En conséquence, pour que la politique européenne d’accès à l’alimentation des plus démunis réponde réellement aux enjeux communautaires, il convient de tenir compte de plusieurs facteurs essentiels.
1. Une dotation alimentaire adaptée aux personnes menacées de pauvreté
En effet, il n’est pas question ici de fournir aux 500 millions d’européens une base alimentaire permettant de se nourrir quotidiennement mais de compenser des dysfonctionnements de marché qui se révèlent être en contradiction avec l’objet de la PAC et les objectifs de lutte contre la pauvreté.
L’Union Européenne fixera un indicateur européen de "pauvreté alimentaire" en dessous duquel les populations devront être épaulées pour accéder à l’alimentation par des mesures de distribution. Cet indicateur pourra être celui déjà utilisé pour les populations « menacées de pauvreté », soit les personnes qui bénéficient de revenus inférieurs à 60 % du revenu médian évalué pour l’Etat dans lequel ils résident.
2. L’accès à l’alimentation ne doit pas subir les aléas des prix agricoles
Le taux de pauvreté ne peut être à lui seul un indicateur suffisant pour évaluer la dotation alimentaire.
L’accès aux produits sur le marché dépend essentiellement des cours des matières agricoles. Indépendamment d’un seuil de pauvreté constant, l’accès à l’alimentation peut être rendu difficile par des prix agricoles anormalement élevés.
La dotation alimentaire doit donc également évoluer comparativement à la hausse des prix agricoles.
3. La répartition entre Etats membres ne doit pas altérer la dotation alimentaire
Enfin, la dotation alimentaire initiale calibrée à 500 millions d’euros a été fixée pour un programme européen calibré sur 19 Etats membres. Considérant les deux arguments développés ci-dessus, cette dotation alimentaire devra donc être adaptée, pour rester constante pour les populations concernées, lorsqu’un nouveau pays sollicite l’Union Européenne pour mobiliser le PEAD.
4. Le PEAD : une dotation alimentaire en soutien à l’agriculture
Si la politique agricole et alimentaire européenne doit être rentable pour ses agriculteurs comme pour ses populations, c’est à travers une politique de solidarité envers ses agriculteurs que l’Europe apparaît la mieux armée pour garantir l’unité de son territoire.
Plus de 99 % de l’enveloppe consacrée à l’exécution de la Politique Agricole Commune est destinée à renforcer la production agricole européenne tant quantitativement, que qualitativement et dans une utilisation raisonnée et durable des ressources. Les agriculteurs français se sont positionnés pour le maintien du PEAD comme une des composantes essentielles de leur mission de production : nourrir les populations et de facto les plus démunis.
Il est important dans cette logique que la PAC et le PEAD visent à soutenir la préférence communautaire dans un double objectif de régulation des prix à destination des consommateurs européens mais également de responsabilité européenne sur le marché mondial.
5. Un enjeu européen de santé publique
Nourrir les Européens exige de déployer de nombreux efforts par l’intermédiaire de la PAC comme développer la production, être compétitif sur le marché et les prix, mais aussi répondre aux préoccupations contemporaines de santé, de lutte contre l’obésité, que chacun puisse s’approprier la culture alimentaire, mais surtout que chacun dispose du minimum alimentaire pour répondre à ses besoins.
Une politique d’alimentation ambitieuse trouvera sa légitimité mais seulement si les citoyens ont le sentiment qu’elle atteint des résultats conformes à leurs attentes qualité/santé/environnement...
Le PEAD doit donc à la fois être pérennisé et renforcé. La volonté des associations françaises qui portent cette ambition pour l’Europe dans l’esprit des pères fondateurs est de pérenniser un socle européen d’accès à l’alimentation permettant à chaque individu en Europe d’être notamment préservé de la faim.
Si les sociétés européennes peuvent paraitre épargnées, les déséquilibres sociaux et environnementaux nous rappellent chaque jour notre devoir de vigilance dans la pérennisation du système de protection européen, construit il y a plus de 50 ans pour maintenir la Paix.
Dans le cadre d’une politique ambitieuse, l’Europe doit fournir l’accès à une alimentation saine et suffisante sans distinction ni exclusion.
Croix Rouge Française
Monsieur Jean-François Mattei
Fédération française des Banques Alimentaires
Monsieur Alain Seugé
Restaurants du Coeur
Monsieur Olivier Berthe
Secours populaire français
Monsieur Julien Lauprêtre